■ 2004 Christian Le Bars lit Jean Cocteau
 

À la question : “Si un incendie était en train de détruire ta maison, qu’est-ce que tu te hâterais de sauver ?”, Jean Cocteau répondit : "le feu !”
Cette anecdote caractérise un homme que l’on a souvent accusé d’être superficiel, tant il fut la victime de sa propre légende. Il en était conscient. “L’intelligence me suspecte”, écrivit-il. Rien d’étonnant pour quelqu’un qui avouait “taquiner l’éternité”.
Ses premiers poèmes sont comme une “ébauche d’art poétique” née dans l’explosion et les fracas de la première guerre mondiale qui trace une “ligne de fuite” hors de l’effroyable deuil sous le signe de l’aviation et à destination d’un imaginaire “Cap de Bonne-Espérance”.
Tout comme l’antique poésie de Pindare faisait l’éloge des héros, sa poésie est dédiée à Roland Garros, l’aviateur qui a franchi la Méditerranée pour la première fois en 1913 et est mort au combat en 1918.
La réponse de Cocteau n’est une boutade qu’en apparence. Car c’est bien le feu de la poésie qu’il a conservé de cet incendie où il perdit nombre de ses camarades : tous les fusiliers-marins, auprès de qui il servit comme infirmier, périrent.
Si les Surréaliste cultivaient l’humour, Cocteau pour sa part fut témérairement ironique. “Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité”. En effet, la pensée la plus profonde est toujours paradoxale.
 
C.L.B.
 

<< “Je sens une difficulté d’être.” C’est ce que répond Fontenelle, centenaire, lorsqu’il va mourir et que son médecin lui demande : “Monsieur Fontenelle, que sentez-vous ?” Seulement la sienne est de la dernière heure. La mienne date de toujours. Ce doit être un rêve que de vivre à l’aise dans sa peau. J’ai, de naissance, une cargaison mal arrimée. Je n’ai jamais été d’aplomb. Voilà mon bilan si je me prospecte. Et, dans cet état lamentable, au lieu de garder la chambre, j’ai bourlingué partout. Depuis l’âge de quinze ans, je n’ai pas arrêté une minute. Il m’arrive de rencontrer telle ou telle personne qui me tutoie, que je ne peux reconnaître jusqu’à ce qu’une poigne profonde arrache de l’ombre, à l’improviste, tout le décor d’un drame où elle tenait son rôle, où je tenais le mien, et que j’avais complètement oublié. >>
 
La Difficulté d’être (1947)