■ 1993 Lecture de poèmes de Claude Roy
 
Les choses sont réelles. Point n'est besoin de croire en elles. On ne croit qu'en l'irréel. Pourquoi ce besoin de croire sinon parce que la plénitude du réel nous fait défaut ? (Peut-être aussi pour conjurer le malheur). À quoi devons-nous cette plénitude ? À cette question Claude Roy ne répond pas. Mais ses poèmes en suspens à la lisière du temps  distillent mot à mot ce qui fait plénitude pour lui.
 
« Peut-être  simplement qu'il suffit d'avancer    pas à pas
le plus léger possible    insouciant de durer
content qu'il ait neigé    et content qu'il déneige
prenant le soleil comme il va la brume comme elle vient »  
 
Pourtant il fut une époque où il écrivait :  
 
« Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille aussi longtemps
que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri
ni jamais vivre de bon coeur tant qu'il faudra que d'autres
meurent qui ne savent pas pourquoi
J'ai mal au coeur mal à la terre mal au présent »  
 

Sans doute la conscience aiguë de sa mort lui a-t-elle fait don de tenir à distance l'Histoire, le charroi de l'Histoire ,  son désastre quotidien, et de ne s'attacher qu'à remonter à la source du temps en décrivant l'écorce des choses, le bonheur de chaque jour,  (osons le mot malgré l'insolence ),  
 
« léger bonheur qui ricoche sur l'eau des rires de l'été »
 

Aucune insolence d'ailleurs dans ce bonheur si plein d'humilité, si proche de cette paix des profondeurs qui fait la sagesse.  
 
« Je suis comme celui qui juste avant le froid
a ramassé dans l'herbe dernière le dernier
ver luisant de l'automne et garde un moment sa petite lumière verte
dans le creux de la main    en se disant
il n'y a certainement aucun moyen connu
de garder allumé pour toujours
si petit pourtant     si doucement brillant
pesant à peine un ver luisant
 
pas même un homme »
 
À lire ses poèmes nous savons que nous aussi sommes  
 
« ce voyageur en partance
qui ne sait pas l'heure de son train
et qui a oublié où il va »
 
À la dérive dans l'univers, leur petite musique fragile et persistante nous dit l'étonnement d'exister et ce miracle d'être vivant pour un temps, alors que nous ne savons ce qu'il y a de l'autre côté du temps, nous ne savons pas  
 
« où s'en vont les rêves une fois rêvés
où s'en vont les moments oubliés par l'oubli »
 
Ils nous disent que le rêve et la pensée sont de la même substance,  texture du temps, temps de la vie intérieure à la lisière du temps du calendrier, texture de la réalité si ténue et dont on ne peut malgré tout douter.